Dans le cadre de son passage en France, Matthieu Ricard s’est arrêté à Angers ce mercredi 27 novembre pour présenter son dernier livre Plaidoyer pour l’altruisme, à l’Université Catholique de l’Ouest (UCO).
La salle comble était sous le charme de ce moine bouddhiste tibétain, docteur en génétique cellulaire, auteur de 14 ouvrages et photographe. Autant de personnes à attendre à l’extérieur. L’information de sa présence n’a été partagée que tardivement et pourtant chacun était au rendez vous. Il faut dire qu’un moine avec 40000 heures de méditation au compteur ça se sent d’emblée.
Pleinement ancré, disponible d’esprit, serein, la relation de proximité s’installe dans une qualité de silence et de partage. L’humour est au rendez-vous et la salle rit à l’unisson une dizaine de fois pendant son intervention d’une demi-heure.
L’altruisme, voilà ce qui déplace les foules aujourd’hui. En pleine crise, en plein doute, les gens savent que l’essentiel est ailleurs. Alors justement, comment développer sa capacité d’altruisme ? Car il s’agit bien de développer une capacité à l’instar de celui qui veut apprendre le piano, il devra passer par la répétition des gammes, chaque jour.
L’un des 100 premiers salariés de chez Google, Chade-Meng Tan, auteur du livre « Search Inside Yourself », qui sortira en Avril, propose de méditer 10 secondes toutes les heures ! Regarder autour de soi, qui que ce soit dans son champs visuel, et lui souhaiter qu’il puisse être heureux dans son existence, que ses aspirations profondes soient réalisés. Le fait de pratiquer 6 à 7 fois par jour ces 10 secondes de méditation met en route en soi un processus, qui va se prolonger. Puis élargir à 10, 15, 20 minutes de méditation par jour, pour cultiver la pensée bienveillante envers autrui, la maintenir (y revenir si on est distrait, comme le papillon qui revient sur la fleur). Préserver la clarté, l’intensité, la qualité de cette bienveillance. Et pratiquer encore et encore. Il a été démontré scientifiquement qu’il suffit de 2 semaines de méditation de 20 minutes par jour pour diminuer l’intensité de l’amygdale, qui impacte nos comportements (baisse de l’agressivité, contrôle de ses émotions…)
En quoi la méditation peut elle avoir un effet sur l’altruisme ?
La première étape c’est de reconnaitre la bienveillance pour soi. Etre indulgent envers soi même. Personne n’est parfait, c’est normal. Il n’y a pas de mal à se vouloir du bien. On sait qu’un bébé de 7 à 8 mois, sans avoir été encouragé, préfère l’altruisme, il fixe naturellement son attention sur les personnes gentilles avec les autres (test avec des marionnettes). Le potentiel est en chacun, à des degrés divers. La marge de manoeuvre pour le développer est considérable. La pratique est nécessaire, il faut cultiver l’altruisme pour le faire grandir (de même qu’on ne nait pas en sachant lire, écrire, jouer aux échecs).
A l’opposé, l’égoïsme c’est se placer au centre de ses préoccupations en ignorant les besoins d’autrui ou pire en leur nuisant. Matthieu Ricard nous précise également que les actes ne suffisent pas pour qualifier l’altruisme. Les actes envers autrui peuvent être intéressés, calculateurs… C’est bien la motivation qui connote l’acte, qui compte pour qualifier l’altruisme.
Est on plus altruiste aujourd’hui ?
Les résultats de l’étude sur l’évolution de l’humanité ne correspondent pas aux idées reçues. Contrairement à certains propos d’anthropologues sur la base de cranes détériorés, les conflits entre groupes n’ont démarré qu’à partir de la sédentarisation, il y a 12000 ans, avec le développement de l’agriculture et le désir de s’approprier les richesses du voisin. Aujourd’hui, on pense vivre une époque violente. C’est faux si on compare avec l’histoire. En 1350 à Oxford, il y avait 100 homicides pour 100 000 habitants, aujourd’hui c’est 0.7 et en moyenne 1 pour 100 000 en Occident. Le nombre de victimes par conflit a été divisé par 20. La violence vis à vis des enfants a diminué de moitié en 20 ans. La raison ? L’importance de la démocratie. De 5000 entités politiques en Europe au XIV ème siècle, nous sommes passés à 250 sous Napoléon, puis 50 aujourd’hui. Les risques sont maintenus dans les pays où le statut de la femme est le moins élevé, ou l’éducation est insuffisante, et l’isolement important.
Pourquoi nous allons vers une économie positive ?
Beaucoup d’économistes ont construit des modèles sur la théorie de l’homo Economicus affirmant que l’homme est raisonnable et cherche à maximiser ses intérêts personnels. Sauf que Matthieu Ricard nous explique combien nos prises de décisions ne sont pas rationnelles. Il a été démontré que les traders, lors de leur passation de commandes, activent des zones du cerveaux qui correspondent à des comportements d’attaques et de fuites. Nous ne sommes pas rationnels, nous avons tous des émotions, des motivations alors autant avoir les bonnes. Parmi les économistes, d’autres comme Joseph Stiglitz, Dennis Snower, Amartya Sen mettent en avant la gestion essentielle des biens communs : la qualité de l’eau et de l’air, tout ce qui a avoir avec le bien être. C’est la voix du « care », de la sollicitude qui arrive. Vive L’homo Altericus ! On assiste au développement des fonds éthiques, du commerce équitable, du crowdfunding, la consommation collaborative, …C’est l’économie positive qui s’impose.
C’est quoi l’altruisme pour les animaux ?
On évalue une société à la manière dont elle traite les animaux. Le code civil en France décrit que l’animal est un bien immobilier mobile. Donc un mouton est un tabouret qui bouge. Alors qu’il a été démontré notamment par Darwin que les animaux ont les mêmes émotions et sentiments que les humains, à des degrés divers. Certains le manifestent de manière expressive, d’autres moins. Les poissons sont équipés de tous les transmetteurs du système nerveux, comme ceux qui nous permettent de ressentir la douleur. Nous n’avons pas à choisir entre aider des humains qui souffrent et alléger la souffrance des animaux.
En recherchant un bonheur égoïste, on se rend compte que la vie est misérable et par voie de conséquence on rend la vie misérable à tout le monde. Le bonheur ce n’est pas un sacrifice.
Un grand merci à l’Université Catholique de l’Ouest et à la librairie Richer pour l’organisation de cette conférence (gratuite ! ) accessible à tous.
Une réponse à “L’altruisme selon Matthieu Ricard à Angers”
Revenir sur soi, c’est aussi s’ouvrir aux autres. Changer soi-même, c’est changer le monde. A un moment critique de notre monde, la méditation et la collaboration de toutes les énergies nous permettra de trouver des solutions pacifistes et intelligentes. Merci pour votre article !